Et si, moi aussi, je libérais mon “énergie masculine” ?

Et si, moi aussi, je libérais mon “énergie masculine” ? nfoiry lun 13/01/2025 - 18:00 En savoir plus sur Et si, moi aussi, je libérais mon “énergie masculine” ? « Lors d’une interview donnée à un podcasteur connu pour son soutien à Donald Trump, Marc Zuckerberg, le patron de Meta, a fait part de sa conviction personnelle, forgée dans la pratique des arts martiaux, qu’il existerait une “énergie masculine” qui a été “castrée” sous couvert de vouloir faire plus de place aux femmes. Il a donc appelé les hommes à libérer leur “masculinité” et leur “agressivité”. Un conseil stupéfiant dont je me suis demandé comment il pourrait se décliner me concernant.[CTA1]➤ Vous lisez actuellement la Lettre de la rédaction de Philosophie magazine. Pour la recevoir directement dans votre boîte mail, abonnez-vous ! Cette newsletter est quotidienne et gratuite.“J'ai trois sœurs, pas de frères, j’ai eu trois filles et pas de fils, j'ai donc été entouré de femmes toute ma vie. Or l'énergie masculine est bonne aussi. La société en est remplie, mais la culture d’entreprise a vraiment essayé de s’en détourner.” C’est par le biais d’un témoignage personnel que Mark Zuckerberg, le patron de Facebook, WhatsApp, Threads et Instagram, a donc tenté de justifier l’abandon par le géant des réseaux sociaux des politiques de recrutement et de ressources humaines dites de DEI (“diversity”, “equity” et “inclusion”), rendu public par le site Axios. Un deuxième virage stratégique, donc, après le renoncement aux politiques de vérification des informations et de modération des discussions annoncé la semaine dernière aux usagers et aux employés de Meta… et aux nouveaux maîtres du pays, Trump et Musk, qui ne cachent pas leur volonté de rompre avec le management inclusif et progressif.Au départ de ce revirement, selon la “confession” édifiante de Zuckerberg : une expérience, celle des arts martiaux. Au contact de cette pratique, issue d’une “culture beaucoup plus masculine que la nôtre” et qui permet aux hommes de se côtoyer et de se bagarrer dans un entre-soi, le milliardaire, longtemps entouré par des femmes, prétend avoir pu y libérer sa “bad energy”. “En faisant cette expérience, c’est comme si cela avait fait tilt dans mon cerveau et qu’une pièce du puzzle de ma vie, qui aurait dû être là depuis toujours, avait enfin trouvé place.” Fruit de cette révélation personnelle, une conviction nouvelle : s’il était bien intentionné d’adopter des mesures de recrutement permettant aux femmes d’entrer et de réussir davantage dans l’entreprise en y déployant leur énergie “naturelle”, ce mouvement est, selon lui, allé trop loin. Le monde de l’entreprise a été “culturellement émasculé”, affirme Zuckerberg – “neutered” en anglais signifiant “neutralisé” mais aussi “castré”. Or “c'est une chose de dire que nous voulons créer un environnement accueillant pour tout le monde, et c'en est une autre de dire que la masculinité est mauvaise et toxique, et que nous devons nous en débarrasser”. Conclusion : “Toutes les formes d’énergie sont bonnes, mais une culture qui fait un peu plus la part belle à l'agression a ses mérites positifs.”Si le clin d’œil en forme d’allégeance anticipée à Donald Trump et à son autoritarisme masculiniste semble évident, il vaut la peine d’interroger le sens “philosophique” du concept mis ici en avant par le patron de Facebook. Il y aurait donc une “énergie” spécifique aux hommes et aux femmes, et cette énergie “naturelle”, qui se manifesterait chez les hommes par une forme d’agressivité combative, devrait pouvoir s’exprimer – à égalité ? – avec celle – douce et pacificatrice ? – des femmes… Tout en se référant aux arts martiaux et à l’idée d’une polarité énergétique, “Zuck” ne dit bizarrement rien du Yin et du Yang, boussoles du taoïsme, qui fondent pourtant ces pratiques. Dans ce cadre spirituel, loin de s’opposer de manière dualiste, le symbole des deux virgules noires et blanches enchâssées l’une dans l’autre avec un point de la couleur opposée incrustée en chacune, permet de penser les tensions complémentaires à l’œuvre dans l’univers. Si le Yin est du côté de l’obscurité, de la quiétude, de la terre… et de la féminité, et le Yang du côté de la lumière, de la chaleur, de l’activité… et de la masculinité, c’est commettre un contresens que de croire qu’ils s’incarnent dans l’homme et la femme. Parce que chacun des pôles comprend une part de son opposé et parce qu’ils ne renvoient pas à des corps ou à des sexes, ni même à des substances, mais à la structuration énergétique du monde.En sexualisant le Yin et la Yang et en prétendant qu’on aurait “castré” les hommes de l’énergie combative dont ils seraient plus amplement dotés que les femmes, Mark Zuckerberg dissimule très maladroitement un sexisme biologisant d’un autre âge dans les habits d’une spiritualité antique mal comprise. Et – ce qui est plus grave pour l’un des plus puissants dirigeants d’entreprise – il invite publiquement les hommes à libérer “l’agressivité” inh

Jan 14, 2025 - 13:48
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Et si, moi aussi, je libérais mon “énergie masculine” ?
Et si, moi aussi, je libérais mon “énergie masculine” ? nfoiry lun 13/01/2025 - 18:00

« Lors d’une interview donnée à un podcasteur connu pour son soutien à Donald Trump, Marc Zuckerberg, le patron de Meta, a fait part de sa conviction personnelle, forgée dans la pratique des arts martiaux, qu’il existerait une “énergie masculine” qui a été “castrée” sous couvert de vouloir faire plus de place aux femmes. Il a donc appelé les hommes à libérer leur “masculinité” et leur “agressivité”. Un conseil stupéfiant dont je me suis demandé comment il pourrait se décliner me concernant.

[CTA1]

Vous lisez actuellement la Lettre de la rédaction de Philosophie magazine. Pour la recevoir directement dans votre boîte mail, abonnez-vous ! Cette newsletter est quotidienne et gratuite.

“J'ai trois sœurs, pas de frères, j’ai eu trois filles et pas de fils, j'ai donc été entouré de femmes toute ma vie. Or l'énergie masculine est bonne aussi. La société en est remplie, mais la culture d’entreprise a vraiment essayé de s’en détourner.” C’est par le biais d’un témoignage personnel que Mark Zuckerberg, le patron de Facebook, WhatsApp, Threads et Instagram, a donc tenté de justifier l’abandon par le géant des réseaux sociaux des politiques de recrutement et de ressources humaines dites de DEI (“diversity”, “equity” et “inclusion”), rendu public par le site Axios. Un deuxième virage stratégique, donc, après le renoncement aux politiques de vérification des informations et de modération des discussions annoncé la semaine dernière aux usagers et aux employés de Meta… et aux nouveaux maîtres du pays, Trump et Musk, qui ne cachent pas leur volonté de rompre avec le management inclusif et progressif.

Au départ de ce revirement, selon la “confession” édifiante de Zuckerberg : une expérience, celle des arts martiaux. Au contact de cette pratique, issue d’une “culture beaucoup plus masculine que la nôtre” et qui permet aux hommes de se côtoyer et de se bagarrer dans un entre-soi, le milliardaire, longtemps entouré par des femmes, prétend avoir pu y libérer sa “bad energy. “En faisant cette expérience, c’est comme si cela avait fait tilt dans mon cerveau et qu’une pièce du puzzle de ma vie, qui aurait dû être là depuis toujours, avait enfin trouvé place.” Fruit de cette révélation personnelle, une conviction nouvelle : s’il était bien intentionné d’adopter des mesures de recrutement permettant aux femmes d’entrer et de réussir davantage dans l’entreprise en y déployant leur énergie “naturelle”, ce mouvement est, selon lui, allé trop loin. Le monde de l’entreprise a été “culturellement émasculé”, affirme Zuckerberg – “neutered” en anglais signifiant “neutralisé” mais aussi “castré”. Or “c'est une chose de dire que nous voulons créer un environnement accueillant pour tout le monde, et c'en est une autre de dire que la masculinité est mauvaise et toxique, et que nous devons nous en débarrasser”. Conclusion : “Toutes les formes d’énergie sont bonnes, mais une culture qui fait un peu plus la part belle à l'agression a ses mérites positifs.”

Si le clin d’œil en forme d’allégeance anticipée à Donald Trump et à son autoritarisme masculiniste semble évident, il vaut la peine d’interroger le sens “philosophique” du concept mis ici en avant par le patron de Facebook. Il y aurait donc une “énergie” spécifique aux hommes et aux femmes, et cette énergie “naturelle”, qui se manifesterait chez les hommes par une forme d’agressivité combative, devrait pouvoir s’exprimer – à égalité ? – avec celle – douce et pacificatrice ? – des femmes… Tout en se référant aux arts martiaux et à l’idée d’une polarité énergétique, “Zuck” ne dit bizarrement rien du Yin et du Yang, boussoles du taoïsme, qui fondent pourtant ces pratiques. Dans ce cadre spirituel, loin de s’opposer de manière dualiste, le symbole des deux virgules noires et blanches enchâssées l’une dans l’autre avec un point de la couleur opposée incrustée en chacune, permet de penser les tensions complémentaires à l’œuvre dans l’univers. Si le Yin est du côté de l’obscurité, de la quiétude, de la terre… et de la féminité, et le Yang du côté de la lumière, de la chaleur, de l’activité… et de la masculinité, c’est commettre un contresens que de croire qu’ils s’incarnent dans l’homme et la femme. Parce que chacun des pôles comprend une part de son opposé et parce qu’ils ne renvoient pas à des corps ou à des sexes, ni même à des substances, mais à la structuration énergétique du monde.

En sexualisant le Yin et la Yang et en prétendant qu’on aurait “castré” les hommes de l’énergie combative dont ils seraient plus amplement dotés que les femmes, Mark Zuckerberg dissimule très maladroitement un sexisme biologisant d’un autre âge dans les habits d’une spiritualité antique mal comprise. Et – ce qui est plus grave pour l’un des plus puissants dirigeants d’entreprise – il invite publiquement les hommes à libérer “l’agressivité” inhérente à leur condition. Comment cette injonction peut-elle se décliner concrètement dans l’entreprise d’aujourd’hui, pour nous les hommes ? Donner libre cours à notre ambition, à notre instinct de compétition et de pouvoir ? Vouloir passer avant les femmes en décidant pour elles et sans elles ? Ne plus avoir de scrupules à être mieux payés qu’elles, à tâche et fonction égales ? S’autoriser à les interrompre à tout bout de champ ? Il se trouve qu’au moment où je prenais connaissance de la “sortie” de “Zuck”, je relisais le dernier chapitre du Deuxième Sexe, dans lequel Simone de Beauvoir essaie d’envisager à quoi ressemblerait un homme libéré des injonctions masculinistes qui le condamnent à l’agressivité, à l’hostilité, à l’inauthenticité. Oui, l’énergie masculine doit être libérée de ce carcan, avance avec panache Beauvoir. Mais elle l’entend tout autrement que Zuckerberg. Pour elle, cela ne peut se faire qu’avec et grâce aux femmes. Et pour imaginer l’homme ainsi libéré, elle pense à Julien Sorel dans Le Rouge et le Noir. Près de Mme de Rênal, Julien devient un autre que cet ambitieux qu'il avait décidé d'être, il se choisit à neuf.” L’énergie nouvelle que le héros de Stendhal déploie, dans sa vie comme sur son cheval, elle lui vient de cet amour et de la relation d’égalité qu’il a nouée avec les femmes. “Quand Julien hésite au pied de l'échelle dressée par Mathilde, il met en question toute sa destinée : c'est dans cet instant-là qu'il donne sa vraie mesure. C'est à travers les femmes, sous leur influence, par réaction à leurs conduites, que Julien, Fabrice, Lucien font l'apprentissage du monde et d'eux-mêmes. Épreuve, récompense, juge, amie, la femme est vraiment chez Stendhal ce que Hegel un moment fut tenté d'en faire : cette conscience autre qui dans la reconnaissance réciproque donne au sujet autre la même vérité qu'elle reçoit de lui.” Si l’énergie masculine doit être libérée, donne à penser Beauvoir, ce n’est donc pas en marge de la fréquentation trop encombrante des femmes, comme Zuckerberg le préconise, dans des espaces clos où ils pourraient donner libre cours à leur agressivité. C’est, comme pour Julien Sorel, avec et grâce aux femmes, que cette énergie peut être libérée. Et rendre les hommes meilleurs ? » janvier 2025

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