Et si on lisait (enfin) les romans de Boualem Sansal ?
Et si on lisait (enfin) les romans de Boualem Sansal ? nfoiry ven 17/01/2025 - 17:00 En savoir plus sur Et si on lisait (enfin) les romans de Boualem Sansal ? Alors que son arrestation il y a près de deux mois à son arrivée à Alger, pour « atteinte à l’unité nationale », a fait l’objet de vives tensions et controverses entre l’Algérie et la France, nous vous proposons une lecture de ce romancier voltairien et orwellien, qui emprunte au conte et à la fiction d’anticipation pour mieux interroger, grâce à l’imagination, les menaces, complices, de l’autoritarisme et de l’islamisme. [CTA2]Si, officiellement, ce sont les prises de position de Boualem Sansal sur le Sahara occidental et les frontières de l’Algérie qui sont les motifs de son incarcération pour « atteinte à l’unité nationale », sa critique du régime et de l’islam dès ses premiers romans lui valent depuis longtemps les foudres du pouvoir local. Pour y voir plus clair, croisons la lecture de trois de ses ouvrages, portant précisément sur l’Algérie à travers les époques : Le Village de l’Allemand (2008), Rue Darwin (2011) et 2084. La fin du monde (2015). À travers la fiction, Boualem Sansal questionne le mythe d’une Algérie moderne et ouverte, et cherche à déconstruire les discours religieux et autoritaires des autorités algériennes comme ceux des islamistes. Les références aux contes de ses romans offre au romancier la possibilité de faire vivre ses idées politiques à travers la fiction, rappelant avec force l’impétueux pouvoir des mots, de la langue et de l’imagination. Un conteur « à la Voltaire » Il y a dans l’écriture de Boualem Sansal quelque chose du conte, posant sur la réalité un regard merveilleux mais non moins tragique. Le romancier décrit des mondes où le mystère et la légende s’entrecroisent continuellement avec l’histoire de l’Algérie. Le roman Rue Darwin plonge le lecteur dans l’histoire d’une famille déchirée par les maux de l’Algérie des années 1950 à aujourd’hui, qu’il s’agisse de la corruption, de la pauvreté ou de la violence : « Et puis les choses sont ainsi au pays, brutales et incompréhensibles, on y vit comme on vivait dans les temps médiévaux, dans l’effroi et le grouillement de la misère. » Dans ce roman, la figure presque mystique de la grand-mère et les ombres de l’enfance du personnage principal Yazid, participent à cette ambiance mystérieuse. L’écriture vagabonde de l’auteur nous amène, de digression en digression, à retrouver l’oralité du conte. Sous la plume de Sansal, le mythe de la famille parfaite s’effondre tout comme celui d’une Algérie heureuse et moderne.Ces histoires fictives, à l’instar du conte philosophique chez Voltaire, sont des critiques à peine voilées de la société et du pouvoir. Boualem Sansal reprend dans ses romans ce mélange entre fiction et réalité, et en fait un usage politique. Un engagement contre l’obscurantismeCette plume est éminemment politique et dénonciatrice. L’imaginaire permet à Boualem Sansal d’exprimer plus vivement ses idées politiques à travers la mise en scène d’un futur dystopique gouverné par un régime religieux dans 2084. La fin du monde. Dans ce roman, Boualem Sansal construit un récit mystérieux aux allures de conte oriental, plongeant le lecteur dans le cauchemar d’une société kafkaïenne. Ce monde, l’Abistan, est organisé par une religion, imaginée par l’auteur, dont les fidèles vénèrent le Dieu Yölah et son « délégué » sur terre, Abi. Le régime totalitaire de l’Abistan empêche toute liberté de pensée et promeut l’uniformisation des corps et des esprits. “Découvrir le monde, c’était entrer dans la complexité et sentir que l’univers était un trou noir d’où sourdaient le mystère, le danger et la mort”Boualem Sansal, dans “2084. La fin du monde”Le personnage principal de 2084. La fin du monde, Ati, met progressivement en doute les certitudes imposées par la religion. Il se confronte dès lors à toutes les difficultés d’un questionnement interdit et prend conscience « que découvrir le monde, c’était entrer dans la complexité et sentir que l’univers était un trou noir d’où sourdaient le mystère, le danger et la mort ». Le lecteur suit le périple existentiel d’Ati qui le mènera à la révolte dans l’espoir de trouver la liberté. Sansal modèle un roman qui se veut une invitation à la réflexion sur les idéologies totalitaires et les risques de l’islamisme. Une alerte face à l’islamismeDerrière la religion imaginaire de 2084. La fin du monde, Sansal clone la religion musulmane et fabrique une vision prémonitoire pour mieux dénoncer les dérives potentielles de l’islamisme, brouillant les frontières entre fiction et réalité. Cette dénonciation de l’islam, et des religions en général, est claire dans 2084. La fin du monde quand un de ses personnages affirme que « la religion fait peut-être aimer Dieu mais rien n’est plus fort qu’elle pour faire détester l’homme et haïr l’humanité ». Dans Le Village de l’Allemand, Boualem Sansal aborde le sujet délicat de l’héritage d’u
Alors que son arrestation il y a près de deux mois à son arrivée à Alger, pour « atteinte à l’unité nationale », a fait l’objet de vives tensions et controverses entre l’Algérie et la France, nous vous proposons une lecture de ce romancier voltairien et orwellien, qui emprunte au conte et à la fiction d’anticipation pour mieux interroger, grâce à l’imagination, les menaces, complices, de l’autoritarisme et de l’islamisme.
[CTA2]
Si, officiellement, ce sont les prises de position de Boualem Sansal sur le Sahara occidental et les frontières de l’Algérie qui sont les motifs de son incarcération pour « atteinte à l’unité nationale », sa critique du régime et de l’islam dès ses premiers romans lui valent depuis longtemps les foudres du pouvoir local. Pour y voir plus clair, croisons la lecture de trois de ses ouvrages, portant précisément sur l’Algérie à travers les époques : Le Village de l’Allemand (2008), Rue Darwin (2011) et 2084. La fin du monde (2015). À travers la fiction, Boualem Sansal questionne le mythe d’une Algérie moderne et ouverte, et cherche à déconstruire les discours religieux et autoritaires des autorités algériennes comme ceux des islamistes. Les références aux contes de ses romans offre au romancier la possibilité de faire vivre ses idées politiques à travers la fiction, rappelant avec force l’impétueux pouvoir des mots, de la langue et de l’imagination.
Un conteur « à la Voltaire »
Il y a dans l’écriture de Boualem Sansal quelque chose du conte, posant sur la réalité un regard merveilleux mais non moins tragique. Le romancier décrit des mondes où le mystère et la légende s’entrecroisent continuellement avec l’histoire de l’Algérie. Le roman Rue Darwin plonge le lecteur dans l’histoire d’une famille déchirée par les maux de l’Algérie des années 1950 à aujourd’hui, qu’il s’agisse de la corruption, de la pauvreté ou de la violence : « Et puis les choses sont ainsi au pays, brutales et incompréhensibles, on y vit comme on vivait dans les temps médiévaux, dans l’effroi et le grouillement de la misère. » Dans ce roman, la figure presque mystique de la grand-mère et les ombres de l’enfance du personnage principal Yazid, participent à cette ambiance mystérieuse. L’écriture vagabonde de l’auteur nous amène, de digression en digression, à retrouver l’oralité du conte. Sous la plume de Sansal, le mythe de la famille parfaite s’effondre tout comme celui d’une Algérie heureuse et moderne.
Ces histoires fictives, à l’instar du conte philosophique chez Voltaire, sont des critiques à peine voilées de la société et du pouvoir. Boualem Sansal reprend dans ses romans ce mélange entre fiction et réalité, et en fait un usage politique.
Un engagement contre l’obscurantisme
Cette plume est éminemment politique et dénonciatrice. L’imaginaire permet à Boualem Sansal d’exprimer plus vivement ses idées politiques à travers la mise en scène d’un futur dystopique gouverné par un régime religieux dans 2084. La fin du monde. Dans ce roman, Boualem Sansal construit un récit mystérieux aux allures de conte oriental, plongeant le lecteur dans le cauchemar d’une société kafkaïenne. Ce monde, l’Abistan, est organisé par une religion, imaginée par l’auteur, dont les fidèles vénèrent le Dieu Yölah et son « délégué » sur terre, Abi. Le régime totalitaire de l’Abistan empêche toute liberté de pensée et promeut l’uniformisation des corps et des esprits.
“Découvrir le monde, c’était entrer dans la complexité et sentir que l’univers était un trou noir d’où sourdaient le mystère, le danger et la mort”
Le personnage principal de 2084. La fin du monde, Ati, met progressivement en doute les certitudes imposées par la religion. Il se confronte dès lors à toutes les difficultés d’un questionnement interdit et prend conscience « que découvrir le monde, c’était entrer dans la complexité et sentir que l’univers était un trou noir d’où sourdaient le mystère, le danger et la mort ». Le lecteur suit le périple existentiel d’Ati qui le mènera à la révolte dans l’espoir de trouver la liberté. Sansal modèle un roman qui se veut une invitation à la réflexion sur les idéologies totalitaires et les risques de l’islamisme.
Une alerte face à l’islamisme
Derrière la religion imaginaire de 2084. La fin du monde, Sansal clone la religion musulmane et fabrique une vision prémonitoire pour mieux dénoncer les dérives potentielles de l’islamisme, brouillant les frontières entre fiction et réalité. Cette dénonciation de l’islam, et des religions en général, est claire dans 2084. La fin du monde quand un de ses personnages affirme que « la religion fait peut-être aimer Dieu mais rien n’est plus fort qu’elle pour faire détester l’homme et haïr l’humanité ».
Dans Le Village de l’Allemand, Boualem Sansal aborde le sujet délicat de l’héritage d’une histoire troublée, celle des crimes nazis mêlée à celle de la guerre civile de 1992 à 2002 en Algérie, opposant le gouvernement et les groupes islamistes. Boualem Sansal met en garde ses lecteurs contre les dangers de l’islamisme en Algérie et en France en peignant la situation d’une banlieue française minée par la montée de l’islamisme. Un personnage du roman affirme que « nos parents sont trop pieux et nos gamins trop naïfs, la cité sera bientôt une république islamique parfaitement constituée ». En croisant nazisme, guerre civile algérienne et montée de l’islamisme, Sansal s’interroge sur les racines du mal et s’inquiète pour l’avenir.
Le pouvoir des mots
Dans 2084. La fin du monde, conçu comme un hommage au 1984 de George Orwell, Sansal actualise de nombreux concepts orwelliens. Dans le roman d’Orwell, la novlangue, qui favorise la parole officielle, se limite à une fonction purement utilitaire et descriptive, empêchant toute forme de second degré. Dans 2084. La fin du monde (2015), Sansal illustre de la même manière comment l’appauvrissement du langage contribue à celui de la pensée, rendant impossible l’exercice du libre arbitre.
“Boualem Sansal montre comment la pauvreté lexicale empêche toute expression complexe de la pensée”
Il imagine donc lui aussi une langue, l’abilang, qui reflète la perte de substance des langues et de la pensée en Abistan : « Les langues avaient raccourci, rapetissé, s’étaient réduites à des collections d’onomatopées et d’exclamations, ce qui ne permettait aucunement de développer des pensées complexes et d’accéder par ce chemin à des univers supérieurs. » Les personnages de Sansal peinent à trouver les mots nécessaires pour exprimer leurs ressentis profonds. Boualem Sansal montre comment la pauvreté lexicale de l’abilang, tout comme celle de la novlangue orwellienne, empêche toute expression complexe de la pensée.
Par-delà ses déclarations sur le Sahara occidental et les frontières de l’Algérie, Boualem Sansal raconte, dans ses romans prenant l’aspect du conte, des histoires qui dérangent. À travers des narrations parfois alambiquées, l’auteur tisse des liens entre fiction et réalité afin de mieux porter ses idées et ses prémonitions politiques. Il décrit des régimes craignant l’impudent pouvoir des mots, qui ,dans la fiction comme dans la réalité, sont prêts à restreindre les libertés des romanciers comme des peuples. janvier 2025
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