Fantasmer en janvier
Fantasmer en janvier nfoiry mer 15/01/2025 - 18:00 En savoir plus sur Fantasmer en janvier « “Bienvenue au Fantasma Cabaret Eroticaaaa”, susurre la meneuse de revue Allanah Starr sur la scène des Folies Bergère. Habillée (ou plutôt déshabillée) de tulle et de plumes froufroutantes, elle promène ses talons de douze sous le regard des spectateurs du premier rang en lançant qu’elle préfère ceux des balcons parce que ces derniers sont “toujours on top”. Suivront plusieurs numéros où les corps des danseurs et des performeurs se dénuderont plus ou moins rapidement, suggéreront ou montreront tout, dans une vaste exploration de la notion de fantasme.[CTA1]➤ Vous lisez actuellement la Lettre de la rédaction de Philosophie magazine. Pour la recevoir directement dans votre boîte mail, abonnez-vous ! Cette newsletter est quotidienne et gratuite.Créé par le duo Manon Savary et Marc Zaffuto, le Fantasma Show, à l’affiche des Folies Bergère jusqu’au 18 janvier, promet d’échauffer les cœurs et les esprits en cette semaine d’hiver plus en dessous de zéro que de la ceinture. Sur les fauteuils cabossés de la mythique salle parisienne, le public est emmitouflé, engoncé dans écharpes et pulls superposés – pas pour longtemps. Le défilé des costumes de strass et de harnais de cuir qui mettent en valeur là un sein, là une fesse, a tôt fait d’enclencher la machine à rêver. Mimi en costume se débarrasse de son trois-pièces en se déhanchant sur un fauteuil business, deux femmes désormais presque zombies sortent d’une voiture accidentée pour entamer une romance lesbienne fiévreuse, évoquant le film Titane de Julia Ducournau, Jean Biche contemple son reflet mille fois décuplé par des effets de caméra dans un numéro de diva désirante et désespérée, la star du X gay François Sagat se matérialise dans la chambre d’un jeune homme hypnotisé par son écran… Patrick Sébastien qui aurait passé la porte d’une backroom : ce pourrait être la direction artistique du Fantasma Show.Dans le sillage de Freud, la psychanalyse a fait du fantasme la manifestation plus ou moins consciente d’un désir, avec l’idée qu’il relève de l’interdit et de l’effraction au sein d’une sexualité normée. On s’autorise d’autant plus à échafauder des scénarios à la fois torrides et alambiqués qu’on sait qu’ils ne seront jamais mis à exécution – ou difficilement. Ces fantasmes indiquent-ils l’envie de sortir de sentiers sexuels trop battus ? Ou ne reflètent-ils que notre porosité à des images issues d’un cinéma classique ou porno qui érotise encore largement la domination des femmes, ou de certains hommes au physique “efféminé” ? Sans doute un peu tout cela à la fois. Sur les planches des Folies Bergère, il y a quelque chose de l’hétérotopie de Michel Foucault, soit l’invention d’un espace provisoire en marge des standards – certes, accueilli dans une grande salle parisienne avec pignon sur rue.Dans Le Corps utopique, Les Hétérotopies (Lignes, 2019), deux conférences données en 1966, Foucault distingue deux sortes d’hétérotopies. La première regroupe les changements liés au corps qui placent les individus en quelque sorte dans un lieu, un espace nouveau et forcément perturbateur – la puberté, les premières règles, la ménopause et la vieillesse, par exemple. Le second type d’hétérotopie se rapproche davantage du lieu physique identifiable : ce sont “les lieux que la société ménage dans ses marges, dans les plages vides qui l’entourent, […] réservés aux individus dont le comportement est déviant par rapport à la moyenne ou à la norme exigée”. Le philosophe cite ainsi la prison, l’hôpital psychiatrique mais aussi le bordel, ou même le navire, sur lequel l’équipage forme une société close provisoire.Poursuivant la réflexion de Foucault, Paul B. Preciado propose de réfléchir à la notion de “pornotopie”, qu’il reprend à l’historien et critique littéraire Steven Marcus, auteur d’une étude sur la pornographie à l’ère victorienne (The Other Victorians, 1966, non traduit). Dans un essai du même nom, Preciado définit la pornotopie comme “un contre-espace de sexualisation caractéristique des sociétés disciplinaires, un lieu capable de construire une fiction théâtralisée de la sexualité, qui s’oppose simultanément […] à la cellule du célibataire et à la chambre conjugale”. Le théâtre donc, avec tout ce qu’il suppose d’artifices, d’effets “wahou” et de faux-semblants, est partie prenante de la pornotopie, lui permettant d’ouvrir “une brèche dans la topographie sexuelle de la ville”, de provoquer “des altérations des codes normatifs du genre et de la sexualité, des techniques du corps et des pratiques de production du plaisir.” Avec humour et légèreté, le Fantasma Show ouvre cette exacte brèche dans la glace pas uniquement météorologique de janvier. » janvier 2025
« “Bienvenue au Fantasma Cabaret Eroticaaaa”, susurre la meneuse de revue Allanah Starr sur la scène des Folies Bergère. Habillée (ou plutôt déshabillée) de tulle et de plumes froufroutantes, elle promène ses talons de douze sous le regard des spectateurs du premier rang en lançant qu’elle préfère ceux des balcons parce que ces derniers sont “toujours on top”. Suivront plusieurs numéros où les corps des danseurs et des performeurs se dénuderont plus ou moins rapidement, suggéreront ou montreront tout, dans une vaste exploration de la notion de fantasme.
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➤ Vous lisez actuellement la Lettre de la rédaction de Philosophie magazine. Pour la recevoir directement dans votre boîte mail, abonnez-vous ! Cette newsletter est quotidienne et gratuite.
Créé par le duo Manon Savary et Marc Zaffuto, le Fantasma Show, à l’affiche des Folies Bergère jusqu’au 18 janvier, promet d’échauffer les cœurs et les esprits en cette semaine d’hiver plus en dessous de zéro que de la ceinture. Sur les fauteuils cabossés de la mythique salle parisienne, le public est emmitouflé, engoncé dans écharpes et pulls superposés – pas pour longtemps. Le défilé des costumes de strass et de harnais de cuir qui mettent en valeur là un sein, là une fesse, a tôt fait d’enclencher la machine à rêver. Mimi en costume se débarrasse de son trois-pièces en se déhanchant sur un fauteuil business, deux femmes désormais presque zombies sortent d’une voiture accidentée pour entamer une romance lesbienne fiévreuse, évoquant le film Titane de Julia Ducournau, Jean Biche contemple son reflet mille fois décuplé par des effets de caméra dans un numéro de diva désirante et désespérée, la star du X gay François Sagat se matérialise dans la chambre d’un jeune homme hypnotisé par son écran… Patrick Sébastien qui aurait passé la porte d’une backroom : ce pourrait être la direction artistique du Fantasma Show.
Dans le sillage de Freud, la psychanalyse a fait du fantasme la manifestation plus ou moins consciente d’un désir, avec l’idée qu’il relève de l’interdit et de l’effraction au sein d’une sexualité normée. On s’autorise d’autant plus à échafauder des scénarios à la fois torrides et alambiqués qu’on sait qu’ils ne seront jamais mis à exécution – ou difficilement. Ces fantasmes indiquent-ils l’envie de sortir de sentiers sexuels trop battus ? Ou ne reflètent-ils que notre porosité à des images issues d’un cinéma classique ou porno qui érotise encore largement la domination des femmes, ou de certains hommes au physique “efféminé” ? Sans doute un peu tout cela à la fois. Sur les planches des Folies Bergère, il y a quelque chose de l’hétérotopie de Michel Foucault, soit l’invention d’un espace provisoire en marge des standards – certes, accueilli dans une grande salle parisienne avec pignon sur rue.
Dans Le Corps utopique, Les Hétérotopies (Lignes, 2019), deux conférences données en 1966, Foucault distingue deux sortes d’hétérotopies. La première regroupe les changements liés au corps qui placent les individus en quelque sorte dans un lieu, un espace nouveau et forcément perturbateur – la puberté, les premières règles, la ménopause et la vieillesse, par exemple. Le second type d’hétérotopie se rapproche davantage du lieu physique identifiable : ce sont “les lieux que la société ménage dans ses marges, dans les plages vides qui l’entourent, […] réservés aux individus dont le comportement est déviant par rapport à la moyenne ou à la norme exigée”. Le philosophe cite ainsi la prison, l’hôpital psychiatrique mais aussi le bordel, ou même le navire, sur lequel l’équipage forme une société close provisoire.
Poursuivant la réflexion de Foucault, Paul B. Preciado propose de réfléchir à la notion de “pornotopie”, qu’il reprend à l’historien et critique littéraire Steven Marcus, auteur d’une étude sur la pornographie à l’ère victorienne (The Other Victorians, 1966, non traduit). Dans un essai du même nom, Preciado définit la pornotopie comme “un contre-espace de sexualisation caractéristique des sociétés disciplinaires, un lieu capable de construire une fiction théâtralisée de la sexualité, qui s’oppose simultanément […] à la cellule du célibataire et à la chambre conjugale”. Le théâtre donc, avec tout ce qu’il suppose d’artifices, d’effets “wahou” et de faux-semblants, est partie prenante de la pornotopie, lui permettant d’ouvrir “une brèche dans la topographie sexuelle de la ville”, de provoquer “des altérations des codes normatifs du genre et de la sexualité, des techniques du corps et des pratiques de production du plaisir.” Avec humour et légèreté, le Fantasma Show ouvre cette exacte brèche dans la glace pas uniquement météorologique de janvier. » janvier 2025
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