Quand les barrages chinois ralentissent la vitesse de rotation de la Terre : la nouvelle force géologique de l’humanité
Quand les barrages chinois ralentissent la vitesse de rotation de la Terre : la nouvelle force géologique de l’humanité nfoiry ven 17/01/2025 - 13:00 En savoir plus sur Quand les barrages chinois ralentissent la vitesse de rotation de la Terre : la nouvelle force géologique de l’humanité La masse de l'eau stockée à pleine charge dans le réservoir du barrage des Trois-Gorges, en Chine, est capable de modifier la vitesse de rotation de la Terre, avait révélé la Nasa en 2005. Une découverte qui interroge l’ampleur de notre influence sur la planète, alors que Pékin s’apprête à lancer la construction du plus grand barrage du monde au Tibet.[CTA2]Le jour dure 60 milliardièmes de seconde plus longtemps lorsque le barrage des Trois-Gorges, en Chine, est rempli : c’est la découverte surprenante de la Nasa en 2005. De quoi s’inquiéter, à l’heure où Pékin annonce la construction du plus grand barrage du monde au Tibet, sur le cours inférieur du Yarlung Tsangpo (ou Brahmapoutre), qui promet une capacité de production de 60 gigawatts, soit le triple de ce que produit le barrage des Trois-Gorges ?Ce phénomène de ralentissement s’explique par ce que l’on appelle le « moment d’inertie » : plus la masse d’un objet est importante et plus cette masse est éloignée du centre de rotation, plus l’objet oppose une résistance à la rotation de la planète. C’est ce qui se produit avec le barrage des Trois-Gorges : avec ses 2 335 mètres de longueur et ses 185 mètres de hauteur, il est capable de retenir 40 000 milliards de litres d’eau et partant de modifier la vitesse de rotation de la planète – ainsi que, très légèrement, la position de ses pôles. Les effets du barrage restent évidemment négligeables. Mais d’autres phénomènes anthropiques modifient la vitesse de rotation de notre planète. C’est le cas, tout particulièrement, de la fonte des glaces, dont l’effet est dix fois plus important que celui de l’eau stockée dans le réservoir du barrage des Trois-Gorges. Faire trembler la TerreNous mesurons mal l’ampleur de l’impact de l’activité humaine sur le système-Terre. Nous savons bien entendu aujourd’hui combien l’humanité est capable de modifier l’état de ce que Bruno Latour a appelé la « zone critique », mince pellicule comprise entre les eaux souterraines et la basse atmosphère où se déploie la vie. Nous savons combien le poids de la vie humaine change le climat, la qualité des sols vivants, etc. Nous savons, pour le dire autrement, que nous transformons (pour le pire) les équilibres précaires de cette zone d’habitabilité qui constitue notre milieu naturel. “La construction du gigantesque barrage des Trois Gorges, qui a donné naissance à de nouveaux grands lacs artificiels, a exercé une pression supplémentaire sur la surface, contribuant ainsi aux tremblements de terre”Slavoj ŽižekEn revanche, nous entrevoyons à peine notre influence sur ce qui sert de soubassement à zone critique : la masse tellurique terrestre. Nous envisageons à peine que nos forces de chair puissent le mesurer aux puissances colossales, titanesques, inhumaines qui règnent sous nos pieds, dans des conditions de température et de pressions extrêmes. C’est de ce côté que le barrage des Trois Gorges, capable de modifier, certes de manière infinitésimale, nous invite à regarder. Ce n’est pas la première fois que l’immense installation hydroélectrique attire l’attention. Dans son article « ‘O Earth, Pale Mother!’ » (2010), le philosophe Slavoj Žižek suggérait : « La construction du gigantesque barrage des Trois Gorges, qui a donné naissance à de nouveaux grands lacs artificiels, a exercé une pression supplémentaire sur la surface, contribuant ainsi aux tremblements de terre. » Le scientifique James Lovelock, concepteur de l’« hypothèse Gaïa », généralise : « Des barrages construits par l’homme ont parfois déclenché des tremblements de terre en modifiant la répartition du poids sur la zone environnante. »Les barrages ne sont qu’un seul des éléments de l’activité humaine à l’œuvre dans les phénomènes de sismicité. Georgios Michas, du Technological Educational Institute de Crète, écrivait en 2017 dans « Séismes provoqués par les activités humaines : comment limiter les risques ? » : « Si les séismes causés par l’homme sont observés depuis plus d’un siècle, leur accroissement préoccupe le monde scientifique, social et politique. Ces événements sont notamment provoqués par les activités industrielles, comme l’extraction minière, […] l’injection de liquides (tels que des eaux usées ou du dioxyde de carbone) et les extractions liées à l’exploitation pétrolière et gazière. […] La demande toujours plus importante en énergie et en minerais devrait entraîner une hausse des tremblements de terre imputables à l’être humain dans un avenir proche. »Georgios Michas poursuit : « Certains des fléaux les plus dévastateurs de ces dernières années sont d’ailleurs dus à l’activité humaine. C’est notamment le cas du séisme d’une magnitude de 7,9 à Wenchuan, en Chine,
La masse de l'eau stockée à pleine charge dans le réservoir du barrage des Trois-Gorges, en Chine, est capable de modifier la vitesse de rotation de la Terre, avait révélé la Nasa en 2005. Une découverte qui interroge l’ampleur de notre influence sur la planète, alors que Pékin s’apprête à lancer la construction du plus grand barrage du monde au Tibet.
[CTA2]
Le jour dure 60 milliardièmes de seconde plus longtemps lorsque le barrage des Trois-Gorges, en Chine, est rempli : c’est la découverte surprenante de la Nasa en 2005. De quoi s’inquiéter, à l’heure où Pékin annonce la construction du plus grand barrage du monde au Tibet, sur le cours inférieur du Yarlung Tsangpo (ou Brahmapoutre), qui promet une capacité de production de 60 gigawatts, soit le triple de ce que produit le barrage des Trois-Gorges ?
Ce phénomène de ralentissement s’explique par ce que l’on appelle le « moment d’inertie » : plus la masse d’un objet est importante et plus cette masse est éloignée du centre de rotation, plus l’objet oppose une résistance à la rotation de la planète. C’est ce qui se produit avec le barrage des Trois-Gorges : avec ses 2 335 mètres de longueur et ses 185 mètres de hauteur, il est capable de retenir 40 000 milliards de litres d’eau et partant de modifier la vitesse de rotation de la planète – ainsi que, très légèrement, la position de ses pôles. Les effets du barrage restent évidemment négligeables. Mais d’autres phénomènes anthropiques modifient la vitesse de rotation de notre planète. C’est le cas, tout particulièrement, de la fonte des glaces, dont l’effet est dix fois plus important que celui de l’eau stockée dans le réservoir du barrage des Trois-Gorges.
Faire trembler la Terre
Nous mesurons mal l’ampleur de l’impact de l’activité humaine sur le système-Terre. Nous savons bien entendu aujourd’hui combien l’humanité est capable de modifier l’état de ce que Bruno Latour a appelé la « zone critique », mince pellicule comprise entre les eaux souterraines et la basse atmosphère où se déploie la vie. Nous savons combien le poids de la vie humaine change le climat, la qualité des sols vivants, etc. Nous savons, pour le dire autrement, que nous transformons (pour le pire) les équilibres précaires de cette zone d’habitabilité qui constitue notre milieu naturel.
“La construction du gigantesque barrage des Trois Gorges, qui a donné naissance à de nouveaux grands lacs artificiels, a exercé une pression supplémentaire sur la surface, contribuant ainsi aux tremblements de terre”
En revanche, nous entrevoyons à peine notre influence sur ce qui sert de soubassement à zone critique : la masse tellurique terrestre. Nous envisageons à peine que nos forces de chair puissent le mesurer aux puissances colossales, titanesques, inhumaines qui règnent sous nos pieds, dans des conditions de température et de pressions extrêmes. C’est de ce côté que le barrage des Trois Gorges, capable de modifier, certes de manière infinitésimale, nous invite à regarder. Ce n’est pas la première fois que l’immense installation hydroélectrique attire l’attention. Dans son article « ‘O Earth, Pale Mother!’ » (2010), le philosophe Slavoj Žižek suggérait : « La construction du gigantesque barrage des Trois Gorges, qui a donné naissance à de nouveaux grands lacs artificiels, a exercé une pression supplémentaire sur la surface, contribuant ainsi aux tremblements de terre. » Le scientifique James Lovelock, concepteur de l’« hypothèse Gaïa », généralise : « Des barrages construits par l’homme ont parfois déclenché des tremblements de terre en modifiant la répartition du poids sur la zone environnante. »
Les barrages ne sont qu’un seul des éléments de l’activité humaine à l’œuvre dans les phénomènes de sismicité. Georgios Michas, du Technological Educational Institute de Crète, écrivait en 2017 dans « Séismes provoqués par les activités humaines : comment limiter les risques ? » : « Si les séismes causés par l’homme sont observés depuis plus d’un siècle, leur accroissement préoccupe le monde scientifique, social et politique. Ces événements sont notamment provoqués par les activités industrielles, comme l’extraction minière, […] l’injection de liquides (tels que des eaux usées ou du dioxyde de carbone) et les extractions liées à l’exploitation pétrolière et gazière. […] La demande toujours plus importante en énergie et en minerais devrait entraîner une hausse des tremblements de terre imputables à l’être humain dans un avenir proche. »Georgios Michas poursuit : « Certains des fléaux les plus dévastateurs de ces dernières années sont d’ailleurs dus à l’activité humaine. C’est notamment le cas du séisme d’une magnitude de 7,9 à Wenchuan, en Chine, en 2008 et de celui, d’une magnitude de 7,8, qui s’est produit au Népal en 2015. » Le problème tient tout particulièrement à l’activité humaine dans le sous-sol « à proximité d’une faille active » : « Même les plus petites tensions souterraines créées par les activités humaines peuvent perturber la stabilité de la faille, causant ces catastrophes. »
De la surface aux grandes profondeurs
Les séismes ne sont pas le seul enjeu. Si l’on s’enfonce dans les profondeurs magmatiques, d’autres phénomènes nous interpellent. Virginie Pinel, directrice de recherche en volcanologie à l’Institut de recherche pour le développement, explique : « Pour qu’une éruption se produise, le magma doit arriver à la surface de la Terre. Or des changements en surface peuvent favoriser la production de magma en profondeur ou encore faciliter sa remontée. […] Si la charge présente au-dessus de la chambre magmatique diminue, le magma peut remonter plus rapidement. C’est précisément ce qu’il se produit lors de la fonte des glaciers liée au changement climatique causé par les activités humaines. Lorsqu’un glacier diminue en épaisseur ou en largeur, un réservoir de magma en profondeur peut rompre et le magma remonter à la surface. Cela d’autant plus que le volcan est proche de l’éruption ! » Notre influence s’enfonce, en deçà de la croûte, dans les profondeurs de la lithosphère où bouillonnent les réservoirs magmatiques.
Une étude publiée en 2018 dans la revue Geology allait dans ce sens : elle montrait, sur le temps long, une corrélation entre l’extension des glaciers en Islande et la fréquence des éruptions sur l’île. Marie Boichu, chargée de recherche au CNRS au sein du laboratoire Optique atmosphérique à l’université de Lille, complète : « On peut observer une activité volcanique plus importante durant les périodes de réchauffement, plus chaudes, sur Terre, notamment des volcans qui ont une calotte glaciaire. » Ces éruptions surnuméraires, par chance, n’accentue pas le réchauffement : elles tendent au contraire à atténuer ses effets. « Le dioxyde de soufre émis va se transformer en très fines particules qui, à très haute altitude, vont voyager pendant des mois voire des années avant de se déposer. Un voile peut ainsi se former et créer un refroidissement du climat terrestre. »
Un changement d’axe
On pourrait multiplier les exemples. L’un des plus frappants, peut-être, est révélé dans une récente étude internationale coordonnée à l’Observatoire de Paris et publiée en juin 2023 dans la revue scientifique Geophysical Research Letters : l’équipe de scientifiques établit un lien entre le pompage des nappes phréatiques… et le changement de direction de l’axe de rotation de la Terre. Le déplacement massif des eaux modifie, de manière infime certes, la distribution de la masse terrestre. « Le pompage des eaux souterraines est responsable à hauteur de 40 % de la déviation de l’axe de rotation de la Terre », résume le directeur de l’étude Ki-Weon Seo, du département d’éducation des sciences de la Terre à l’Université nationale de Séoul. D’autres phénomènes anthropiques jouent également sur l’axe de rotation : la fonte des glaciers, qui provoque une redistribution des eaux, a déplacé le pôle Nord de la Terre.
Ce n’est pas seulement la zone critique que nous modifions par notre activité : notre influence s’exerce toujours plus loin dans les profondeurs telluriques de la planète. Définissant l’Anthropocène, Paul Crutzen et Eugene Stoermer parlaient de l’homme comme d’une « force géologique ». Peut-être faut-il donner à l’expression un sens plus ample. Pour Crutzen et Stoermer, il s’agissait de dire que l’activité a désormais un impact si important qu’elle laisse sa trace sur la couche géologique en cours de formation. Notre présence sur Terre est lisible dans le feuilletage sédimentaire qui constitue la croûte terrestre, partie superficielle de notre planète. Nous constatons que notre influence s’exerce de plus en plus profondément dans le corps de la Terre. janvier 2025
What's Your Reaction?