Jeunes mères : la grande justesse des frères Dardenne

Les frères Dardenne livrent avec leur nouveau film "Jeunes mères" une chronique sociale poignante, porté par quatre jeunes actrices inspirées.

Jun 5, 2025 - 05:10
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Jeunes mères : la grande justesse des frères Dardenne

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L'éternel retour

Les Belges, dans les arts, feraient-ils tout mieux que les autres ? Le Plat Pays a en effet mille attraits, dont cette capacité à produire des performances artistiques remarquables et qui excèdent très largement, dans leur expression francophone, ses frontières. Parmi ceux qui font la vivacité et le prestige du cinéma belge, les frères Dardenne occupent une place à part, grands maîtres du cinéma dit « social » et conteurs de génie. Et pour inscrire leur oeuvre dans l'histoire mondiale du cinéma, ils se sont trouvés une forme de résidence au Festival de Cannes, avec pas moins de 7 présences au palmarès de la Compétition depuis leur première Palme d’or en 1999 pour Rosetta.

Une présence si régulière qu’elle est devenue un sujet de plaisanterie, aussi parce que du côté du Festival ce traitement préférentiel est ouvertement assumé. Thierry Frémaux, lors de la conférence de presse dévoilant la sélection officielle à la mi-avril, avait ainsi déclaré que le Festival endossait aussi un « rôle d’éditeur » au moment d'annoncer la sélection de leur nouveau film, Jeunes mères.

Pour autant, jamais les frères Dardenne ne sont arrivés sur la Croisette pour simplement mettre les pieds sous la table de ce grand banquet du cinéma. Toutes leurs sélections, avec certains films naturellement moins performants que d’autres, sont légitimes. Au mérite d’un talent intact, avec toujours une proposition dont la sensation de radicalité tient surtout à la parfaite efficacité de son style.

Il en va ainsi de Jeunes mères, en Compétition de ce 78e Festival de Cannes. Sur une durée plus légère que l’essentiel de la concurrence, on y suit quatre très jeunes mères (Jessica, Perla, Julie et Ariane), approchant le terme de leur grossesse ou vivant leurs tous premiers mois de mère. Comment ces adolescentes, elles-mêmes enfants placés et issus de milieux défavorisés, vont-elles vivre ce « devenir » ?

100% Dardenne

Toujours caméra à l’épaule, parfaitement introduite dans ces espaces de vie rendus à la fois publiques et intimes (une dispute mère-fille sur un trottoir, deux soeurs qui se retrouvent entre deux portes, un couple serré sur un scooter…), les frères Dardenne livrent une chronique sociale éclatante et des portraits féminins touchants. Les jeunes actrices, filles spirituelles d’Émilie Dequenne, brillent seules comme ensemble et leurs performances captivent. Ce sont elles qui nous emportent, lancées sur un scénario au déroulé magistral.

Jeunes mères
Jeunes mères ©Diaphana

Exemple-type du film qui parvient à rendre de la banalité une sensation épique, Jeunes mères a cette humilité maline, cette idée de faire du spectacle en partant d'une maison d'accueil de jeunes mères et de quelques appartements déprimants de précarité. Et c’est effectivement du grand spectacle, sans artifice de mise en scène mais avec une narration qui compose en différentes harmonies avec les énergies contraires, malades, explosives, belles, saines et moins saines de ses personnages.

Jessica, Perla, Julie et Ariane jouent en effet chacune leur partition, issues d’environnements différents mais dont la misère sociale est le point commun. Les rythmes diffèrent, certaines séquences sourdent quand d’autres procèdent par éclats. Mais les cinéastes parviennent, grâce soit rendue à leur écriture et au montage de Marie-Hélène Dozo, à éviter toute dissonance pour que l’intention reste claire et centrée : explorer par une brillante fiction la réalité du drame filial avec, pour le temps présent, son spectre de l’abandon vivifié par l’épisode pandémique qui a jeté la jeunesse dans une profonde et durable solitude.