The Last of Us, saison 2 : une déception inhérente au format télévisuel ?
Deux ans après la première saison, la série HBO adaptée de la franchise à succès « The Last of Us » revient avec une deuxième saison encore plus ambitieuse. Si le jeu-vidéo original avait déjà divisé les fans à sa sortie en […]
Deux ans après la première saison, la série HBO adaptée de la franchise à succès « The Last of Us » revient avec une deuxième saison encore plus ambitieuse. Si le jeu-vidéo original avait déjà divisé les fans à sa sortie en 2020, le show de Craig Mazin peine parfois à adapter les grands enjeux de cette seconde partie. Un échec relatif qui revient selon nous au passage du format vidéoludique au show TV. Attention, spoiler !
Une franchise phare de la Playstation
Initiée en 2013 avec un premier jeu devenue culte, la franchise The Last of Us (voir notre article sur le premier chapitre) créée par Neil Druckmann et Bruce Straley aura fait coulé beaucoup d’encre. Si le premier chapitre, qui voyait Joël et Ellie parcourir une Amérique ravagée par une épidémie de Cordyceps (un champignon qui contamine les êtres-humains, les transformant en créatures agressives et avides de sang), se clôturait sur un final grandiose d’ambiguïté et d’émotion, les attentes ainsi générées semblaient pour beaucoup, impossible à combler.

Et c’est durant la période Covid, que sort cette seconde partie, avec comme point de départ du récit, la mort brutale d’un des deux principaux protagonistes. L’assassinat de Joël par Abbie, sous le regard impuissant d’Ellie, et dés les premières heures du jeu, aura provoqué des réactions violentes dans la communauté de joueurs et de joueuses, qui reprocheront à ce deuxième volet un ton bien plus maussade, presque névrosé, et un traitement des personnages jugé incompréhensible. Pour d’autres au contraire, et en ce qui nous concerne, cette histoire d’un deuil insurmontable aura su nous convaincre par sa maturité, son refus du manichéisme, ainsi que par sa structure des plus originales, à savoir l’incarnation de deux personnages ennemis dans un récit en trois temps. Par un jeu de miroir habilement mise en scène, l’aventure nous propose ainsi de suivre les meurtres successifs commis par Ellie pour tenter de venger la mort de son père adoptif, puis dans une seconde partie, d’assister aux conséquences de ses actes via le point de vue de Abbie. Enfin, le jeu propose une conclusion amère sur l’affrontement de ses deux protagonistes, incarnées tour à tour par le joueur à différents moments de l’histoire. Durant plus de vingt heures, cette épopée bilatérale constitue pour nous la suite logique des évènements du premier jeu, et les conséquences attendues des actes irréparables de Joël à l’Hôpital de Salt Lake City.
La dissonance ludonarrative au coeur du sujet
Un temps reprochée aux précédents jeux de Naughty Dog, la dissonance ludonarrative (un conflit entre le récit d’un jeu vidéo raconté à travers l’histoire et le récit raconté à travers le gameplay) est ici exploitée au premier plan. Exit les ennemis abattus à la pelle par des héros que l’on pardonne aisément pour des raisons de divertissement et de « fun ». Ici, on ressent la souffrance et la fragilité de ses adversaires une fois blessés, et il n’est pas rare qu’un de leurs comparses crie leur nom lorsque ceux-ci tombent au combat. Chaque affrontement est un bain de sang dont personne ne ressort véritablement gagnant, et la possibilité de jouer par la suite le camp adverse nous permet de saisir tout l’impact des agissements d’Ellie sur la population de Seattle, et de comprendre les motivations de chaque parti.

En cherchant constamment à confronter le joueur aux paradoxes très humains de ces personnages, qui, pour tenter de survivre et de protéger les leurs, sont sans cesse tiraillés entre l’égoïsme le plus primaire, et un altruisme qui se heurte aux dangers d’un monde post-apocalyptique, cette seconde partie excelle selon nous dans un registre bien différent du premier jeu. Perdus dans les ruines d’une civilisation désormais condamnée à l’effondrement, les errances de ces deux antagonistes à travers les brumes du deuil frappent par leurs trajectoires troublantes de similarités. Hantées par la perte de leurs proches et l’absence de perspective d’avenir sur Terre, Abbie et Ellie ne cesseront de s’entre-déchirer, dans un schéma de coups et de revers interminables. La conclusion du jeu, qui confronte les deux ennemies dans une lutte éperdue, termine de déshumaniser ces deux êtres éprouvés par une vendetta qui n’a désormais plus de sens. En somme, une caractérisation complexe et une mise en perspective qui pose des questions intéressantes sur le rôle du joueur : si les motivations du personnage incarné sont compréhensibles, leurs actes peuvent-ils pour autant être considérés comme justes ? Notamment en regard du camp d’en face, qui en subit les conséquences. Et si personne n’est détenteur de la morale, quelle est la place de cette dernière dans un monde régit par la survie et l’individualisme ?
Une deuxième saison en demi-teinte
Si la première saison avait su convaincre par son respect de l’oeuvre originale, et ses remaniements bien sentis, cette seconde partie (qui adapte uniquement la première section du deuxième jeu, c’est à dire le point de vue d’Ellie face à la mort de Joël et la quête de vengeance qui s’en suit) est un peu plus timide et balbutiante. Même si l’on retrouve le soin apporté aux décors, aux costumes et à la retranscription du monde post-apocalyptique tel que décrit dans le jeu, l’attention fait quelque peu défaut concernant l’écriture des personnages ainsi que de la trame principale. Le récit en trois parties qui permettait au joueur de vivre l’aventure des deux côtés de la barricade, afin de le bousculer dans ses certitudes, est ici sérieusement entaché par le format télévisuel. Le choix d’adapter le second jeu en deux saisons nous semble discutable, tant on a l’impression qu’Ellie évolue dans un environnement dont elle ne comprend pas les enjeux. Tout au long de l’aventure, les personnages sont comme plongés dans les coulisses de Seattle, et agissent davantage comme des témoins des conflits qui se jouent, que comme des acteurs de ce milieu. Un paradoxe qui donne à la trame principale (trouver Abbie et la tuer) un aspect accessoire, d’autant plus qu’on sent bien que quelque chose de plus grand se déroule dans ce chaos, notamment par l’entremise du personnage d’Isaac, ou encore des quelques incursions chez les Wolfs et les Scars. Peu de clés nous sont données pour comprendre les luttes de clan qui se jouent à l’intérieur de la ville, et on a parfois l’impression de se trouver à côté de l’histoire. Peut-être aurait-il fallu opter pour un montage alterné, ou au moins fournir davantage de pistes au spectateur pour que l’on puisse se sentir un peu plus impliqué dans la narration.

Concernant les dialogues et les personnages, on sent une certaine mollesse dans l’écriture de certains échanges, qui semblent parfois être uniquement là pour remplir les temps morts. Les répliques ne sonnent pas toujours juste, et on a l’impression que le script a été rédigé de manière plus précipité par son scénariste, peut-être dû à un temps de maturation moindre par rapport à la première saison. Il est notamment difficile, dans le dernier épisode, d’appréhender les réactions d’Ellie, qui ne se résigne pas à lâcher prise sur sa proie (Abbie), alors qu’elle traverse durant cette saison plusieurs traumas, à travers les meurtres voulus ou accidentelles de trois personnes proches de sa rivale (notamment une femme enceinte, ce qui fait écho à la situation de Dina, et semble marquer Ellie d’une trace indélébile). D’autant plus que la série nous montre des phases de prise de conscience de la jeune femme face aux atrocités qu’elle commet, mais rien qui ne la convainque réellement d’abandonner sa course. Quand Tommy lui demande si elle s’en remettra, Ellie répond froidement que “oui, même si Abbie demeure toujours en vie”. Pour des questions de dramaturgie, il aurait été préférable selon nous que cette quête insensée de revanche arrive à son terme au bout de la saison 2, ce qui aurait donné encore plus d’impact à l’apparition d’Abbie en fin de cycle, et aurait permi au récit de se relancer plus justement (notamment par la mort de Jesse) dans la saison 3.

Un format télévisuel qui ne convient plus ?
Là où l’interêt principal du deuxième chapitre du jeu, sorti en 2020, résidait en la versatilité du gameplay et de sa structure dramatique, mettant successivement le joueur en position de victime, puis de bourreau, cette deuxième saison peine quelque peu à retranscrire les ambivalences d’un récit qui avait pourtant fait ses preuves sous son format vidéoludique. La faute à une structure en trois actes, étalée sur deux saisons, et dont il faudra certainement patienter un ou deux ans avant d’en voir le bout. L’immersion dans ce monde d’après est néanmoins toujours présente, notamment par le soin apporté aux décors, qu’ils soient naturels ou urbains, et une direction artistique aux petits oignons. De manière paradoxale, la mort de Joël dans l’épisode 2 constitue le climax de cette saison, et le meilleur épisode selon nous, ce qui ne laisse que peu de place aux évènements ultérieurs, qui nous sont apparus comme anodins. À ce titre, le condensé de flashback de l’épisode 6 aurait gagné, à notre humble avis, à être égrené tout au long de la saison (comme il l’est dans le jeu), afin d’entretenir la proximité relationnelle et les névroses que partagent les personnages d’Ellie et de Joël. Car c’est bien de ça dont l’oeuvre originale parle : la transmissions de traumas d’une génération à l’autre, à travers un deuil impossible et une quête de vengeance interminable. Un cycle de violence, dans lequel chaque personnage est acteur malgré lui des évènements, et dont il est également victime. Un traitement de l’action qui nécessite d’être soi-même impliqué dans les actes commis, ce que le format télévisuel ne permet peut-être pas. Le passage de joueur à spectateur aura semble t’il fait défaut à la série pour cette saison, mais il n’est pas interdit d’espérer que la suite du show vienne compléter comme il se doit le puzzle dramatique que constitue ce monument du jeu-vidéo grand-public.