Connaissez-vous cette rue cachée, entièrement conçue comme un chef d’œuvre architectural ?
Dans le quartier d’Auteuil, dans le 16e arrondissement, une petite impasse impressionne par son architecture insolite. Bordée de bâtiments géométriques, entre formes cubiques et cylindriques, terrasses en gradins et éléments architecturaux étonnants, elle est un véritable manifeste de l’architecture moderne. On vous présente ce chef-d’œuvre signé Robert Mallet-Stevens et inauguré en 1927, qui ne cesse […]

Dans le quartier d’Auteuil, dans le 16e arrondissement, une petite impasse impressionne par son architecture insolite. Bordée de bâtiments géométriques, entre formes cubiques et cylindriques, terrasses en gradins et éléments architecturaux étonnants, elle est un véritable manifeste de l’architecture moderne. On vous présente ce chef-d’œuvre signé Robert Mallet-Stevens et inauguré en 1927, qui ne cesse de fasciner les amateurs d’urbanisme (et d’art !)
Une ambition : une rue entière pensée comme un ensemble architectural novateur

@getsould sur Instagram
Le projet naît en 1924, lorsqu’un certain Daniel Dreyfus, banquier et héritier d’une famille de riches commerçants, confie à Robert Mallet-Stevens l’aménagement de son terrain de 3 827m² près de son hôtel particulier à Paris. Ayant déjà fait appel à l’architecte pour la rénovation d’un hôtel à Trouville, Daniel Dreyfus souhaite cette fois-ci la construction de tout un ensemble immobilier dans une impasse. Un projet de taille pour Mallet-Stevens, qui s’offre par la même occasion un véritable terrain de jeu expérimental. À l’époque, l’architecte a 40 ans et s’est déjà fait un nom en tant que designer de mobilier et décorateur de cinéma (notamment pour Jean Renoir). Mais c’est surtout deux ans plus tôt, lors de l’Exposition internationale des Arts décoratifs de 1925 qu’il se démarque pour ses pavillons au style moderne tranché et novateur.
Voir cette publication sur Instagram
Une publication partagée par Diego Alejandro (@diego_alejandro_am)
Sur la voie, l’architecte déploie un projet unique en son genre, basé sur le modèle des villas parisiennes : un complexe homogène, où les volumes semblent s’empiler dans un jeu géométrique créant un style “paquebot”. Pour cette œuvre ambitieuse inaugurée en juillet 1927, l’architecte s’entoure de grands noms de la création moderne : le maître verrier Louis Barillet, la designer Charlotte Perriand, ou encore le ferronnier Jean Prouvé. L’objectif ? donner naissance à une rue entièrement vouée à l’habitation, pensée comme un refuge silencieux, lumineux et résolument moderne. Au total, 5 hôtels particuliers et une maison de gardien sont construits.
« Aucun commerce n’y est autorisé. Elle est exclusivement réservée à l’habitation, au repos ; on doit y trouver un calme réel, loin du mouvement et de bruit, et son aspect même, par sa structure générale, doit évoquer la placidité sans tristesse ? Une rue peut être gaie, joyeuse même, tout en étant reposante. »

Une vitrine d’architecture moderne
Se promener dans cette impasse du quartier d’Auteuil, c’est accéder à une rare pépite d’architecture moderne à Paris. Ici, on est bien loin des courbes, des exubérances et des ornements floraux de l’Art nouveau. À l’inverse, l’ensemble conçu par Mallet-Stevens rend hommage à une architecture moderne centrée sur le rationalisme, le sens de la ligne, le règne de la fonctionnalité et une esthétique épurée. Les formes sont réduites à leur expression la plus pure : des volumes cubiques ou cylindriques, presque emboités.
«La décoration rapportée n’a plus de raison d’être. Ce ne sont plus quelques moulures gravées dans une façade qui accrocheront la lumière, c’est la façade entière. L’architecte sculpte un bloc énorme : la maison. Les saillies, les décrochements rectilignes formeront de grands plans d’ombres et de lumière… Surfaces unies, arêtes vives, courbes nettes, matières polies, angles droits, clarté, ordre. C’est la maison logique et géométrique de demain. » Robert Mallet-Stevens
La rue est conçue comme un grand corps architectural cohérent : les cinq hôtels particuliers et la maison du gardien, aux volumes variés, se rejoignent dans un agencement unique entre jeux de formes, terrasses superposées, façades lisses couvertes d’enduit blanc, et larges ouvertures pensées pour faire entrer la lumière. Au cœur de ce projet, un matériau innovant : le béton armé, qui permet de créer de vastes espaces aux lignes claires, caractéristiques de l’architecture moderne. Suivant le concept d’art total, Mallet-Stevens imagine jusqu’au moindre détail : les lampadaires (aujourd’hui remplacés par ceux de la Ville de Paris), les grillages, les plates-bandes, les vitraux. Tout participe à l’harmonie générale, jusqu’aux aménagements intérieurs.
@benoitvandeputte et @ananievanadya sur Instagram
« Renonçant à un individualisme souvent préjudiciable à l’harmonie générale, mes clients ont accepté que leurs hôtels respectifs, tout en gardant leurs caractéristiques, fissent partie d’un ensemble, c’est-à-dire d’un corps d’architecture un et indivisible. Ces hôtels ne sont pas juxtaposés au petit bonheur ou suivant les hasards d’une construction livrée à l’anarchie. Une idée commune à régit leurs rapports. Aussi forment-ils un bloc parfaitement homogène » déclarait l’architecte
La rue aujourd’hui : une trace subsistante du modernisme

Aujourd’hui, seul l’ancien atelier des sculpteurs Joël et Jan Martel au numéro 10, conserve ses dimensions d’origine. Classé monument historique en 1990, on y retrouve des escaliers impressionnants et des hauteurs de plafond démesurées. Devenu la Galerie 54, le lieu a été restauré fidèlement au style d’origine, permettant au visiteur d’aujourd’hui de s’imprégner du décor moderniste. Vitrail géométrique signé Louis Barillet dans la cage d’escalier, ou pièces rares chinées par le propriétaire, tout l’inédit de l’architecture moderne y règne encore.
Parmi les autres hôtels particuliers, plusieurs ont été surélevés dans les années 1950, dont le numéro 8, qui appartenait à la pianiste Adèle Reifeinberg et a beaucoup souffert de ces modifications. Le pavillon cubique du gardien quant à lui change d’aspect en 1951, lorsqu’il est étendu par l’architecte Roger Gontier. Si la rue n’est pas restée entièrement fidèle à la création initiale de Robert Mallet-Stevens, elle promet tout de même une balade architecturale surprenante.
Informations pratiques
Rue Mallet Stevens , accessible au 9 rue du Docteur Blanche – Paris 16
A lire également
La plus petite maison de Paris (1m40 de large !) est le vestige d’une querelle familiale
Image à la une
Rue Mallet Stevens, Paris 16 – photo de @caterinahstewart sur Instagram