Quand Roland-Garros était un camp pour “étrangers indésirables”

En ce moment, les Internationaux de France de tennis battent leur plein à Roland-Garros. Mais saviez-vous que ce stade mythique cache un pan d’histoire bien plus sombre ? Nommé en hommage à Roland Garros, héros de l’aviation mort au combat en 1918, ce stade mondialement connu et bientôt centenaire a été transformé en camp d’internement […]

Jun 5, 2025 - 05:25
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Quand Roland-Garros était un camp pour “étrangers indésirables”

En ce moment, les Internationaux de France de tennis battent leur plein à Roland-Garros. Mais saviez-vous que ce stade mythique cache un pan d’histoire bien plus sombre ? Nommé en hommage à Roland Garros, héros de l’aviation mort au combat en 1918, ce stade mondialement connu et bientôt centenaire a été transformé en camp d’internement lors de la Seconde Guerre mondiale. Retour sur cette histoire méconnue.

1939-1940 : Roland-Garros devenu un camp d’internement

Le nouveau stade Roland-Garros en 1928
Le nouveau stade Roland-Garros en 1928

Cette triste partie de l’Histoire est bien connue : le 3 septembre 1939, la France entre officiellement en guerre face à l’Allemagne nazie. Mais une autre partie de l’Histoire, elle, reste largement méconnue : celle des centres d’internements, étudiée par l’historien Thierry Marchand dans Camps d’internements en France, 1939-1940, une “sorte d’angle mort, une zone grise”. Avec l’entrée en guerre, aux dernières heures de la IIIe République, le gouvernement Daladier décide de se prémunir contre toute potentielle trahison. Il s’agit alors d’éloigner les “indésirables” susceptibles de représenter un danger pour la sécurité publique et la Défense nationale. Plus de 1 000 militants communistes, syndicalistes, ou anarchistes sont ainsi internés dans des camps de la région parisienne, avant d’être mobilisés -pour la plupart- dans des formations militaires spéciales. Les centres d’internements se multiplient en Île-de-France : le Vélodrome d’hiver, la Cité de la Muette, les écuries de l’hippodrome de Maisons-Laffitte, le stade Buffalo à Montrouge, le stade de Colombe, … et le stade Roland-Garros. Le 5 septembre 1939, il est demandé à “tous les étrangers ressortissants de territoire appartenant à l’ennemi” de sexe masculin, âgés de 17 à 50 ans, de rejoindre ces centres de rassemblement. Quelques jours plus tard, les hommes de 50 à 65 ans sont à leur tour convoqués. À Roland-Garros, on retrouvait en grand majorité des intellectuels : au total, environ 600 personnes y ont été internées à partir d’octobre 1939, principalement des Juifs d’origine allemande ou autrichienne ayant fui le Troisième Reich pour se réfugier en France.

Le témoignage d’Arthur Koestler

Camp du Vernet, source : Archives nationales
Camp du Vernet, source : Archives nationales

Arthur Koestler figure parmi ces hommes déclarés “indésirables” et internés à Roland-Garros. Militant au Parti communiste allemand dès 1931 et né au sein d’une famille juive hongroise, il fuit l’Allemagne au moment de l’arrivée au pouvoir d’Adolf Hitler et arrive à Paris en 1933. Son adhésion au parti communiste et ses multiples séjours en Union soviétique dans les années 1930 expliquent en partie son internement, dont il retrace l’expérience dans son ouvrage La Lie et la Terre, publié en 1941. Ses mots font partie des rares témoignages qui nous aident à imaginer la désormais légendaire terre battue à ses heures les plus sombres :  

“Nous étions 500, logés dans de drôles de grottes sous la grande tribune du court central. Nous occupions l’espace libre sous les escaliers qui, auparavant, servait de vestiaires.”

Sur un autre ton, le romancier y décrit aussi les activités des gardes qui « se livraient à de sacrilèges parties de football sur la terre unie et rouge des courts ». Resté environ une semaine dans ce court transformé en centre d’internement, il est ensuite transféré au camp de Vernet en Ariège (camp disciplinaire), avant que la Grande-Bretagne n’exige sa libération et qu’il puisse rejoindre Londres début 1940. Concernant les conditions d’internement, l’historien Thierry Marchand souligne : il ne faut pas imaginer ces lieux comme des lieux de torture psychologique ni physique.  Il explique que “la discipline, dans certains de ces camps, pouvait même être assez souple”. Néanmoins, et ce spécifiquement dans certains camps comme celui de Gurs dans les années 1940-1941, les conditions de vie pouvaient y être épouvantables.

Le retour du tennis sous l’Occupation

Marcel Bernard pendant la finale de Roland Garros en 1946 (après la Libération)
Marcel Bernard pendant la finale de Roland Garros en 1946 (après la Libération)

L’arrivée des troupes allemandes contraint le gouvernement à démanteler le camp de la Porte d’Auteuil, et les “étrangers indésirables” sont transportés vers les camps situés plus au sud. En juin 1940, le maréchal Philippe Pétain et le gouvernement allemand signent l’armistice : le régime de Vichy naît et Paris, comme la moitié du nord de la France, entre en zone occupée. Dans cette ambiance amère où l’on veut feindre la normalité, les matchs reprennent en 1941. Seulement, en contexte de guerre, les Internationaux de Tennis qui se tenaient dans le stade depuis 1928 laissent la place au Tournoi de France, réservé aux joueurs français et à quelques francophones. Après cinq éditions de ce Tournoi de France, les véritables Internationaux de France de Tennis reprennent en 1946. 

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Stade Roland-Garros © Adobe Stock