Cette façade spectaculaire cache des joyaux en céramique et l’histoire d’une grande usine
Au 18 rue de Paradis, dans le 10e arrondissement, une façade spectaculaire arrête net le regard du passant. Entre influences Art nouveau et inspirations néo-renaissance, ses ornements foisonnants cachent un trésor insoupçonné : un intérieur aux œuvres d’une richesse éblouissante, témoin d’un passé … industriel. Car derrière cette belle façade sculptée se cache l’histoire d’une […]

Au 18 rue de Paradis, dans le 10e arrondissement, une façade spectaculaire arrête net le regard du passant. Entre influences Art nouveau et inspirations néo-renaissance, ses ornements foisonnants cachent un trésor insoupçonné : un intérieur aux œuvres d’une richesse éblouissante, témoin d’un passé … industriel. Car derrière cette belle façade sculptée se cache l’histoire d’une grande manufacture de faïence du XIXe siècle. On vous en ouvre les portes.
La façade insolite de la maison Boulenger

On pourrait se croire devant le décor d’un théâtre élégant. Pourtant, les céramiques qui ornent la façade ne tardent pas à révéler ce que cachait, à l’époque, cette entrée majestueuse du 18 rue de Paradis. En lettres dorées, sur un fronton richement décoré, on lit “Choisy-le-Roi”, et, encore plus haut “H.Boulenger & Cie ”. Ce bâtiment n’est autre que l’ancien siège social d’une célèbre faïencerie qui connaît un essor considérable à la fin du XIXe siècle. La décoration de la façade -pourtant particulièrement étroite- est foisonnante : colonnes raffinées, fronton coupé, vaste postiche décoré de dorures sculptées, et ornements en céramique peinte. Sur un pan de mur à droite, une belle fresque colorée attire déjà l’œil et laisse imaginer la richesse de ce que l’on découvre à l’intérieur. Juste au dessus, une autre mosaïque rappelle très clairement l’histoire du lieu et son usage.
Car si la façade impressionne, l’intérieur n’est pas en reste, et on y progresse de merveille en merveille. Derrière l’imposant portail s’ouvre un vestibule orné de céramiques éclatantes, parmi lesquelles une représentation de combats de coqs. À son tour, ce couloir élégant débouche sur une petite cour carrée, coiffée d’une verrière. Là encore, sur les murs, la beauté des compositions impressionne. Deux d’elles sont signées Guidetti, jouant sur des contrastes de bleu azur et d’ocre, tandis que la majeure partie des créations qu’abrite l’édifice viennent de A.-J. Arnoux, alors responsable de l’atelier de décoration de la faïencerie.
Un bel escalier à balustres en pierre conduit à l’étage, autrefois salle d’exposition. Là-bas, sous la verrière en patio, un foisonnement de motifs forme un bestiaire très coloré et continue d’émerveiller celui qui s’y aventure.
Un catalogue à taille humaine

Si cette façade de la rue de Paradis attire autant l’œil, c’est bien l’effet escompté ! En 1889, Hippolyte Boulenger imagine un véritable coup de publicité : implanter à Paris une vitrine grandeur nature des créations de sa faïencerie. Pour concrétiser cet outil de promotion à grande échelle, le choix de la rue de Paradis ne doit rien au hasard : c’est là où se concentrent déjà plusieurs magasins de cristallerie et de porcelaine à l’époque. La proximité avec la gare de l’Est permet en effet de faciliter les livraisons de matières premières venues de Lorraine. Ainsi, le siège social et dépôt de la faïencerie de Choisy-le-Roi s’installe dans la capitale, tout près de la maison Baccarat et de la cristallerie Saint-Louis, déjà installées depuis 1831. Le bâtiment, édifié par les architectes Georges Jacottin et Ernest Brunnarius, ouvre ses portes en 1892. Orné de revêtements muraux et de carrelages de sols créés par l’usine, il est un véritable catalogue dans lequel admirer les différentes productions de la maison Boulenger.
De la céramique, à l’horreur… à la data

Fondée en 1804 par les frères Paillart, la faïencerie de Choisy-le-Roi connaît un essor considérable sous la direction d’Hippolyte Boulenger, qui ne manque décidément pas de sens du commerce. L’usine est réputée pour ses créations aux couleurs éclatantes et inégalées, notamment des rouges et des orangées somptueux. On y fabrique des objets décoratifs, du carrelage, et de la vaisselle de table, vendus en France et dans le monde entier. L’ouverture de ce siège social à Paris est un investissement important, mais un pari payant : en 1889, Hippolyte Boulenger signe auprès de la CMP (Compagnie du métropolitain parisien) et obtient les deux tiers du marché pour la fabrication des revêtements du métro parisien. C’est donc en partie à cette usine que l’on doit ces célèbres carreaux blancs en faïence qui recouvrent la plupart des stations de métro. Mais la faïencerie de Choisy-le-Roi ne survit pas aux grèves de 1936, et la manufacture est finalement détruite en 1952. Par la suite, le bâtiment accueille un temps le musée de l’Affiche et de la Publicité jusqu’en 1991. Puis, en 2011, changement radical d’ambiance : le lieu est racheté par un américain (Adil Houti) et transformé en attraction touristique à vous glacer le sang : le Manoir de Paris. Cette fois ci, c’est la crise sanitaire qui a le dernier mot, et qui signe la fin du Manoir. Il ferme ses portes en 2020 et entame un nouveau chapitre. Racheté par Xavier Niel, l’ancien siège social de Hippolyte Boulenger et Compagnie accueille désormais une école centrée sur le business et la data : l’Albert School. De la céramique à la terreur, puis aux algorithmes : un destin étonnant pour ce bâtiment qui l’est tout autant.
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Maison Hippolyte Boulenger – Crédit photo @pixdar sur Instagram